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"RESSUSCITER"

 

Ludovic Cardon

— Nice, 2019

 

             Aborder l’œuvre de Jean-Philippe Roubaud revient toujours à se confronter à un passé négligé, ou plus précisément à un fragment du passé de notre humanité qu’il souhaite remettre sous nos yeux.

 

Tout part d’une nostalgie. Jean-Philippe Roubaud n’aime rien plus que reprendre une disparition, une idée ou un évènement que nous aurions « oublié ». Nous sommes alors confrontés à un processus de désensevelissement de notre Histoire. À travers la série Didascalie initiée en 2017 et dont ce catalogue clôt les dernières présentations, Jean-Philippe nous aura projeté une multitude impressionnante d’images. Toutes sont des icônes, toutes nous évoquent immédiatement un souvenir, une émotion, toutes sont des débris d’un monde qui nous a constitué mais que nous avons mis de côté.

 

Alors l’artiste s’insurge et exhume ce passé. Non par amour d’un temps révolu, par refus du présent ou peur de l’avenir, mais par volonté de nous rappeler le sens de notre Histoire. Aussi, et c’est cela le plus important, pour que notre regard se porte au-delà de la connaissance. Pour cela, il nous marque de ses didascalies, il nous redonne les indices, les indications nécessaires pour que nous sortions de notre grand sommeil. L’artiste se fait médiateur entre un morceau de notre Histoire commune et notre esprit embué d’une contemporanéité de l’instant. Pour Jean-Philippe Roubaud, un distingo s’impose entre notre temps marqué d’une immédiateté de tous les instants et la puissance d’un passé marqué par les réflexions de philosophes, artistes, politiques ou grands évènements marquants.

 

Il en est aussi de la technique qu’il emploie. Avec l’utilisation du dessin, geste premier, genèse de toute expression plastique ou visuelle, Jean-Philippe ne fait pas que se confronter à la difficulté, à l’abnégation de sa pratique, il dresse un parallèle entre l’origine de l’idée qu’il nous communique et l’origine de son expression artistique. C’est encore dans un passé enfoui que l’on trouve l’explication du choix de la technique employée.

 

Et cette technique d’un dessin presque hyperréaliste détone dans un univers de l’art contemporain plutôt habitué au dépouillement ou du moins à une certaine épuration des formes. Beaucoup s’en réjouiront et c’est tant mieux. Car ce n’est pas à un numéro d’expression virtuose que nous sommes invités, c’est au difficile.

 

Il y a chez Jean-Philippe quelque chose de propre aux grands artistes, s’en tenir au difficile. C’est l’esprit de R.M Rilke « C’est du difficile que nous devons porter. Presque tout ce qui est grave est difficile ; et tout est grave » ou encore « Nous devons nous tenir au difficile. Tout ce qui vit s’y tient ».

 

Et il y a quelque chose des préceptes rilkiens dans l’histoire même de Jean-Philippe Roubaud. Après avoir travaillé en binôme pendant plusieurs années, l’artiste a su rentrer dans une solitude salvatrice pour puiser en lui, pour aller dans les profondeurs où la vie prend source, les trésors des souvenirs et nous proposer une œuvre puissante qui nous projette dans un autre état de connaissance. De cette nécessité à se reconstruire, Jean-Philippe a su faire émerger un travail empli de sens. Et comme le dit encore Rilke « une œuvre d’art est bonne quand elle est née d’une nécessité ».

 

Ne nous y trompons pas, les mondes imaginaires auxquels Jean-Philippe Roubaud nous invite, œuvre après œuvre, sont des liens qu’il nous tend. Des bouées lancées pour que nous soyons présents à nous-mêmes, des messages à une humanité que l’artiste voudrait plus consciente de ce qui la constitue. Seule voie d’un humanisme et, disons-le, d’un amour universel.

 

Aussi, sommes-nous très heureux de nous associer à la publication de ce catalogue. La société des amis du MAMAC, qui œuvre depuis 30 ans à soutenir l’expression et l’accès à l’art contemporain dans la région niçoise, se félicite de pouvoir aider le travail de Jean-Philippe Roubaud. « Les œuvres d’art, ces êtres secrets dont la vie ne finit pas et que côtoie la nôtre qui passe » RM Rilke.

Grand amateur d'art et collectionneur d'art contemporain, Ludovic Cardon a été Président des Amis du MAMAC jusqu'en 2022.

extrait du catalogue Didascalie 2 Autodafé & Didascalie 3 Limitation du paysage

Éditeur Les Amis du MAMAC, Nice

Dépôt légal : juin 2019 

ISBN : 978-2-9568560-0-9

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